FR
ES
EN

| Interview |

Eriah Byaruhanga est gestionnaire du programme agriculture et développement des entreprises à JESE (Joint Effort to Save the Environment), une organisation partenaire d’Iles de Paix en Ouganda.

Entretien avec Eriah Byaruhanga

pic

Que révèlent les événements de 2020, dominés par la pandémie du Covid-19, sur les futurs possibles des systèmes alimentaires ?

À l’heure actuelle, personne ne peut prédire avec certitude à quoi ressemblera le futur système alimentaire. Mais ce qui est certain, c’est que la pandémie de COVID-19 a engendré une période sans précédent et une situation difficile pour tout le monde, y compris les agriculteurs. Il ne fait aucun doute que l’avenir de l’agriculture et des systèmes alimentaires est remis en question et nécessitera des changements radicaux axés sur la production, la consommation et la commercialisation locales.

Le coronavirus met de plus en plus en lumière une grave fragilité sous-jacente qui va bien au-delà de la santé. Cette fragilité découle du fait que nos systèmes de santé, d’énergie, de finances et d’alimentation sont tous inextricablement liés. Nous avons ici une leçon claire à tirer sur la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement alimentaire qui traversent de multiples frontières. Vulnérabilité au changement climatique et à une foule d’autres risques croisés associés à nos systèmes mondiaux. À mon avis, les moyens de production agroécologiques sont appelés à gagner encore plus d’importance en tant que stratégie visant à renforcer la résilience et les moyens de subsistance durables des communautés.

Le monde doit rapidement concevoir les ajustements à court, moyen et long terme qui doivent être faits pour continuer à soutenir le secteur agricole et la stabilisation des systèmes d’approvisionnement alimentaire. Les pays disposant de peu de sources alimentaires alternatives sont très exposés à l’insécurité alimentaire en raison de la fermeture des frontières, des restrictions de mouvement et des perturbations dans les secteurs du transport maritime et aérien qui ont rendu plus difficile la poursuite de la production alimentaire et le transport des marchandises au niveau international. Ces pays pourraient devoir revoir leurs politiques agricoles et commerciales.

La situation a créé un besoin urgent pour les pays d’entreprendre des recherches et des analyses politiques sur la vulnérabilité de leurs systèmes alimentaires. C’est une opportunité pour faire pression pour l’adoption de l’agroécologie en tant qu’approche durable afin de combler les lacunes actuelles des systèmes alimentaires et de garantir un accès équitable à une alimentation sûre et nutritive pour tous et à tout moment. Il existe un potentiel de soutien et de croissance des économies locales grâce à l’investissement dans le développement des marchés locaux de produits de base. Il est également possible d’augmenter la valeur des produits agricoles grâce à une plus grande valeur ajoutée. Ceci est particulièrement important pour l’Afrique qui exporte des matières premières.

Quels sont les points forts et les points faibles des systèmes alimentaires actuels ?

Les efforts continus et cruciaux des petits exploitants agricoles ont créé des voies vers une sécurité alimentaire et nutritionnelle durable grâce à la production locale d’aliments nutritifs. Cela est particulièrement important pour les populations rurales et urbaines des pays en développement qui comptent beaucoup sur l’efficacité de leurs petits exploitants locaux pour satisfaire leurs besoins alimentaires. Si ces agriculteurs sont bien soutenus, ils ont une énorme capacité à fournir durablement une alimentation adéquate à tous les habitants du monde et sans compromettre leur propre sécurité alimentaire et nutritionnelle.

Mais le système alimentaire mondial actuel a laissé près de 800 millions de personnes affamées, un tiers de la race humaine est mal nourri, plus de la moitié de certaines cultures n’arrivent jamais à la table et la planète est ravagée par des pratiques agricoles non respectueuses de l’environnement. Et comme la population mondiale continue de croître de manière exponentielle, trouver des moyens de nourrir plus de gens de manière efficace et durable, tout en luttant contre le changement climatique, va s’avérer difficile.

Quels changements importants permettraient de garantir, dans les années à venir, la sécurité alimentaire mondiale ?

Voici mon point de vue sur ce qui peut être fait :

  1. Préconiser l’adoption universelle de l’agroécologie comme approche pour garantir un système alimentaire mondial durable qui non seulement fournit les quantités de nourriture requises mais qui garantit également que les aliments soient nutritifs et produits de manière écologique. Les systèmes conventionnels ont de loin échoué et nous ne pouvons plus nous y fier.
  2. Les gouvernements nationaux devraient intensifier leur soutien aux communautés locales afin d’augmenter la production et de renforcer la résilience alimentaire, de minimiser les pénuries et de réduire au minimum les pertes et le gaspillage alimentaires. De cette façon, ces gouvernements seront en mesure de garantir un accès équitable à la nourriture pour tous les membres de la communauté.
  3. Il est nécessaire de conserver les semences locales et les variétés génétiques qui se sont adaptées aux différentes zones agroécologiques du monde. La privatisation de semences est une erreur et doit être remise en question.
  4. Les gouvernements nationaux, les entreprises agroalimentaires et les agriculteurs devront privilégier les cultures alimentaires dont les chaînes d’approvisionnement sont plus courtes et qui présentent un potentiel élevé pour les marchés locaux. La majorité des économies basées sur l’agriculture, en particulier en Afrique, ont besoin de privilégier l’industrie agroartisanale locale.
  5. Il faut investir dans la recherche-action participative qui reconnaît l’énorme potentiel des petits agriculteurs en matière de co-création et d’utilisation des connaissances.

Une option serait-elle de modifier la gouvernance des systèmes alimentaires ? À quel niveau ? Comment évalueriez-vous les systèmes alimentaires pour l’année 2020 ?

La gouvernance doit être menée au niveau des différentes communautés en fonction des aliments locaux disponibles, des goûts, des préférences, du climat local et du contexte environnemental. La volonté de contrôle mondial de la nourriture par quelques multinationales est erronée et a des conséquences désastreuses sur l’avenir de la sécurité alimentaire et nutritionnelle des communautés du monde entier. Cette cupidité doit être remise en question avec tous les efforts et les moyens à disposition. Il existe des preuves suffisantes que les agricultures conventionnelles telles que soutenues par ces multinationales ne travaillent pas pour le commun des mortels mais plutôt pour leur propre profit.

Pour toutes ces raisons j’évalue les systèmes alimentaires mondiaux comme étant insuffisants.

très insuffisant